Un Goût de cannelle et d'espoir de Sarah McCoy ✩✩
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" Nous savions que certaines choses n’étaient pas bien, mais nous avions trop peur pour changer ce que nous savions, et encore plus peur de découvrir ce que nous ne savions pas. C’était notre partie, nos hommes, notre Allemagne. Nous soutenions la nation. Bien sûr, maintenant, c’est facile pour des regards extérieurs de porter des jugements, dit-elle en levant les mains au ciel. Donc oui, je me suis rendue à une fête nazie avec un officier nazi. Ce n’étaient pas tous des monstres. Tous n’étaient pas Hitler ou le docteur Mengele. Il y avait aussi des hommes normaux et même des hommes bien. On essayait de vivre. C’était déjà assez dur comme ça."
Le Pitch: Allemagne, 1944. Dans un IIIème Reich au bord de l'effondrement, entre les lebkuchen et les brötchen fumants, l'insouciante fille des boulangers Schmidt, Elsie, 16 ans, se prépare à fêter Noël en compagnie de son prétendant, officier nazi. Mais le soir même, un petit garçon juif échappé de Dachau frappe à sa porte pour demander refuge...
Soixante ans plus tard, au Texas, en frappant à la porte d'un pâtisserie allemande à l'occasion d'un reportage, la journaliste Reba Adams ne sait pas encore à quel point cette rencontre va bouleverser sa vie...
Je le confesse enfin: c'est le mot "cannelle" qui a attiré mon attention. Pour raconter un peu ma vie, c'est en rentrant d'Italie, à la gare Montparnasse où on s'ennuyait à crever que l'on a décidé d'aller faire un tour dans une librairie. Et comme j'avais faim... Non, je n'ai pas mangé le livre, mais le mot "cannelle" a brillé dans mes petits noenoeils. Avec a-priori très déprimant que vous avez sans doute de ce livre (comme de la plupart des histoires ayant pour toile de fond la Seconde guerre mondiale), vous serez sans doute enchanté par le côté haut-en-couleur de l'écriture. Pas de mots inutiles, messieurs dames! Une émotion juste comme il faut qui ne tombe pas dans le too much, quelques touches d'humour là où il fut, et des anecdotes croustillantes comme du kouign aman! On pleure beaucoup mais oui, on peut rire en parcourant les pages! On pourrait même classer ce roman dans la catégorie de feel-good books, vous savez, ces livres qui vous font vous sentir bien après lecture. J'ai eu un grand coup de cœur pour le personnage de Jane, la fille d'Elsie, pétillante et drôle, qui a toujours le bon mot.
Cependant, j'ai trouvé que les personnages allemands étaient beaucoup plus intéressants et mieux construits que ceux des Etats-Unis. J'ai été déçue en particulier par le personnage principal, Reba, qui m'a parue antipathique. Peut-être était-elle censée être le regard extérieur l'histoire d'Elsie au départ et n'avait pas vocation à avoir ses problèmes en dehors de ses réflexions sur l'Allemagne nazie. J'ai été déçue par le fait qu'elle passe sa vie à tourner en rond, à se tromper d'objectif, à prendre son fiancé pour un con comme le font trop souvent les héroïnes modernes! Ah oui, la manière dont elle se comporte avec son Riki... Riki, Rikiki? D'ailleurs, pourquoi ce nom? Certes, ce n'est qu'un détail, mais je ne supporte pas ce nom. Ca m'a rappelé un article du Gorafi "Ricky la belette, en charge de la déontologie sur BFMTV)". En fait, Reba le traite un peu comme un animal: "D'accord, je me fiance avec toi mais je n'ai pas trop envie de t'épouser, si ça vient je te le fais savoir." En attendant, le pauvre Riki reste attendre bien sagement qu'elle prenne sa décision. Bref, pour moi, Reba est le bocal qui contient la confiture (comparaison bizarre, mais j'ai faim, okay!). Heureusement que ces passages alternaient avec les souvenirs d'Elsie car sinon j'aurais sauté des chapitres!
Parlons donc de cette petite dame. Elsie, c'est le portrait de toute une génération d'allemands qui avaient seize ans en 1944, qui ont souvent été biberonnés au nazisme, avec les jeunesses hitlériennes, l'école... et qui se retrouvent malgré eux plongés dans un monde de fous où leur enfance n'a plus sa place. Certains d'entre vous auront peut-être été étonnés que je mette l'adjectif 'insouciante" dans le résumé mais c'est vraiment cela l'idée! Jusqu'au moment où Tobias (le petit garçon juif) arrive dans sa vie elle n'a pas l'air de se rendre vraiment compte du merdier que représentent Hitler et ses copains. Simplement, elle a été élevée dans une famille plutôt modèle aux yeux des nazis, avec un père qui croit dur comme fer au Reich de mille ans, une mère qui fait tout pour réponder aux critères de l'épouse modèle selon Hitler et une sœur volontaire au Lebensborn. Ah oui, kézako? Ce livre a l'avantage d'en apprendre un peu plus à son lecteur sur la barbarie que constituaient ces maternités d'un genre particulier. Installées en Allemagne, mais aussi en Norvège, en Belgique ou encore en France (et bien d'autres), elles accueillaient des femmes enceintes de SS ou de soldats allemands, sélectionnées sur des critères comme la couleur de leurs yeux, de leurs cheveux afin de donner naissance dans l'anonymat à des enfants destinés à constituer "l'élite". Après quelques mois passés auprès d'eux, les femmes étaient arrachées à leurs enfants, ces derniers devant être au maximum privés d'amour afin de devenir de véritables petits robots capables de sacrifier leur vie pour leur Führer. Et ceux qui auraient eu le malheur de naître chétifs ou bruns étaient euthanasiés. Entre 1935 et 1945, on estime que vingt-deux mille enfants y seraient nés. Dans les lettres d'Elsie et sa soeur, on découvre un monde d'une indicible cruauté. (Pour d'autres informations, voici un article du Monde traitant des lebensborn (dont celle de Steinhöring ou vit la soeur d'Elsie) et un autre de Libération à propos du lebensborn de Chantilly).
Ce roman a un mérite qu'il faut relever: celui de ne pas avoir pour héros des monstres ou des résistants, mais ceux de la majorité silencieuse qui essayaient de se fondre dans le moule sans être pour autant racistes ou antisémites ou que sais-je encore, simplement des gens qui ont eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment et qui ont été entraînés plus ou moins volontairement par l'effet de masse. C'est une superbe leçon qui invite à ne pas juger les allemands de l'époque, comme trop souvent on le fait en leur faisant porter le chapeau de tout ce qui s'est produit dans leur pays, alors que pour la plupart ils étaient comme nous, les français, sous une dictature. On ne peut pas diaboliser des personnes qui ont vécu des événements dont le côté dramatique nous est inconnu. Et l'auteure a eu l'intelligence de construire son ouvrage comme un miroir: d'un côté Elsie et de l'autre Reba l'américaine dont l'histoire personnelle est étroitement liée à la guerre du Vietnam. C'est le côté le plus intéressant du personnage: il est assez rare pour un écrivain américain de placer dans son oeuvre les fautes et crimes commis par l'armée américaine notamment au Vietnam, et Sarah McCoy a eu le courage de le faire, et de pousser encore plus loin en montrant à son lecteur que la barbarie n'est pas seulement l'oeuvre des nazis, mais peut toujours refaire surface à notre époque. Sommes-nous nous même blancs comme neige? Même Riki, le fiancé inoffensif de Reba, porte en lui la culpabilité d'être un garde-frontière renvoyant chaque jour au Mexique des migrants qui ont risqué leur vie pour arriver aux Etats-Unis. Même si la cruauté innommable qu'était le nazisme a a-priori disparu (hormis quelques excités ça et là), l'humanité n'est jamais à l'abri de faire resurgir son visage le plus sombre.
Ceux qui pensent qu'un rien peut changer votre vie vont être servis. Un Goût de cannelle et d'espoir, ou comment un moment d'inattention va permettre à un petit garçon de se réfugier chez une jeune fille qui va enfin prendre conscience de la folie du nazisme. Et naîtra une grande amitié...
Malheureusement, pour certains, il sera déjà trop tard pour qu'ils se rendent compte de ce qu'ils ont fait. Le passé est extrêmement prégnant dans cette oeuvre. C'est la base de toutes les remises en question, de tous les actes et de tous les devenirs...
Quelle intelligence d'être parvenue à rendre cette intrigue aussi universelle! J'ai tellement apprécié que cela a effacé la désagréable impression que m'avait faite Reba.
A déguster sans modération, de préférence devant un bon feu de bois (même si ce n'est pas la saison, ça vaut vraiment le coup que l'on meure de chaud).
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