Le liseur de Bernhard Schlink ✩✩✩
Des nazis, oui, encore des nazis! Même si être confronté à leur monstruosité n'est pas folichon DU TOUT, il est pourtant nécessaire de lire ces romans, juste pour se souvenir de jusqu'où peut aller la nature humaine (plutôt inhumaine, d'ailleurs), et cela, les auteurs ont l'air de l'avoir compris, puisque c'est l'un des principaux thèmes de la littérature contemporaine. Mais faire d'une femme une criminelle de guerre, c'est chose plutôt rare...
"Pourquoi ce qui était beau nous paraît-il rétrospectivement détérioré parce que cela dissimulait de vilaines vérités? Pourquoi le souvenir d'années de mariage heureux est-il gâché lorsque l'on découvre que, pendant tout ce temps-là, l'autre avait un amant? Parce qu'on ne saurait être heureux dans une situation pareille? Mais on était heureux! Parfois le souvenir n'est déjà plus fidèle au bonheur quand la fin fut douloureuse. Parce que le bonheur n'est pas vrai s'il ne dure pas éternellement? Parce que ne peut finir douloureusement que ce qui était douloureux, inconsciemment et sans qu'on le sût?"
Le Pitch: Allemagne de l'ouest. A l'âge de quinze ans, en retournant du lycée, Michael, malade, est soigné par une femme de trente ans. Lorsqu'il retourne la voir quelques semaines plus tard, il devient son amant. Parmi leurs rituels s'instaure une séance de lecture durant laquelle Michael lit à Hanna un livre. Mais au fil du temps, elle semble devenir de plus en plus distante jusqu'à ce qu'elle disparaisse mystérieusement. Quelques années plus tard, Michael, devenu étudiant en droit, assiste à un procès de nazis où il aperçoit sur le banc des accusés Hanna. Au fil des séances, le jeune homme va se rendre compte que quelque chose cloche, jusqu'à découvrir le secret de Hanna...
J'ai sous-estimé ce roman, au premier abord. En voyant le faible nombre de pages et la relative simplicité de l'écriture, je me suis dit: "Bon, pas trop folichon tout ça". Mais quel intérêt une fois que l'on rentre vraiment dans l'histoire, l'histoire d'un premier amour dévastateur! Schlink développe dans son roman les premiers sentiments d'un adolescent timide, fils d'un professeur de philosophie et issu d'un milieu bourgeois, transformé par l'amour pour une femme contrôleuse de tramway qui a le double de son âge. Au début, on peut bloquer sur ça, rien que ça, en les voyant, on se dit: "Mais merde, il se comporte comme un fils avec sa mère (à de GROS détails près et ce sont ces détails près qui rendent le truc vraiment... malsain)." Soyons clairs et nets, dès le début, ça pue, cette histoire. On sent bien que quelque chose va finir par craquer.
Parlons un peu des personnages, pour commencer! Michael, adolescent, n'a pas vraiment de profondeur psychologique, il se contente juste d'être le gentil petit amant de Hanna (très soumis, c'est aussi un truc malsain ça), mais c'est lorsqu'il deviendra adulte, qu'il sera transformé en un homme froid et étranger à tout sentiment, que l'on va vraiment saisir l'évolution et voyez-vous, ça, ça me plaît! Ce Michael adulte qui dédaigne ses partenaires apparaît vraiment comme un salaud de la vie courante. Quant à Hanna, elle est vraiment sombre. Insaisissable d'abord. Bon, vous allez me dire que les femmes de trente-six ans qui se font des gamins de quinze ans ne courent pas les rues, mais à cela s'allient des sautes d'humeur qui la rendent carrément effrayante. D'un coup elle se met à hurler pour pas grand'chose, comme si elle était rongée par des démons intérieurs (et elle l'est, évidemment). A cela s'allie un tic facial qui consiste à avoir l'air la plus impassible possible. Rien qu'avec ces deux ingrédients on obtient une recette vraiment savoureuse: un amour passionnel, malsain, les ravages des sentiments, vous voyez le tableau?
Mais à cela va se rajouter (dans la seconde partie) une bonne couche d'histoire. Au programme, nazisme, nazisme et encore nazisme. Mais surtout une magnifique réflexion sur la génération de l'après, ces jeunes allemands qui ne sont pour rien dans les horreurs perpétrées par le régime nazi mais qui portent malgré eux le poids de ce qui a été commis, d'autant plus que l'époque de l'intrigue, les années 50-60, est celle par excellence où les allemands vont se sentir humiliés de voir leur pays coupé en deux, ce qui les ramène inéluctablement vers le IIIe Reich. Ca va pour le point histoire?
Là, le sentiment de culpabilité est d'autant plus important que Michael a aimé cette femme qui se retrouve dix ans après leur rupture sur le banc des accusées pour avoir commis un crime nazi!
Pas très enviable comme situation! Mais c'est surtout l'occasion de remarquer que les nazis n'étaient pas seulement Hitler ou Goebbels ou Goering et j'en passe, mais également des personnes parfaitement lambda. Hanna, une contrôleuse de tramway! Soyons clairs: elle n'est pas le Diable dans toute son horreur, cela le lecteur le sait, l'a vu! Jusqu'où peut aller la barbarie lorsque toute une société se retrouve brutalisée? Et plus important encore: si nous avions connu cette époque, quelles auraient été nos propres limites? Aurions-nous tous été des résistants? Aurions-nous fait partie de la majorité silencieuse, ou nous serions-nous vautrés dans le crime? Peut-être aurions nous été des Hanna.Ca m'a rappelé un cours d'histoire ou notre prof nous avait parlé d'une factrice qui était devenue une énorme criminelle nazie. Et au travers de ce roman c'est l'occasion de voir ce qui peut pousser quelqu'un à la plus ignoble cruauté et à l'endormissement de sa conscience. Sadisme? Folie? Ambition? Pas toujours. En l’occurrence, dans le cas d'Hanna, c'est le manque d'éducation. Y aurait-il eu autant de nazis (ou le nazisme aurait-il pu faire couler tant de sang) si le peuple, les classes les plus modestes, avaient reçu suffisamment d'éducation pour pouvoir s'opposer à cet engrenage? Ou pour avoir simplement le recul nécessaire face à la situation? Un choix, un seul choix, aurait pu changer la vie de Hanna, et lui éviter d'être poussée dans la machine nazie.
Et en rentrant dans l'intimité de Michael et Hanna, on prend davantage conscience de la difficulté du travail de jugement. 1960, l'époque des premiers procès durant lesquels des allemands ont condamné d'autres allemands pour les crimes commis pendant la guerre ou l'occasion de se rendre compte du GOUFFRE qui séparent ces générations. D'un côté ceux qui veulent une nouvelle Allemagne et punir la folie du IIIe Reich, et de l'autre des accusés qui sont pour certains des proches qu'ils ont aimés et dont ils n'auraient jamais pu soupçonner une telle cruauté. D'une part Michael, de l'autre Hanna.
Le côté abject des accusées ne nous est pas épargné, leur lâcheté ainsi que leur étrange spontanéité à accuser leurs complices pour alléger leur propre peine, sans faire preuve de la moindre once de culpabilité. Mais c'est là que Hanna va se rebeller face à l'engrenage: elle assume. Pour elle, cela représente la dernière chance de cacher son secret...
Un livre assez court, un style plutôt franc, mais une intelligence brillante dans la manière de traiter le sujet, en faisant apparaître le prix payé par l'Allemagne des lendemains pour permettre une certaine paix finale.
PS: la prochaine fois, j'essaie de trouver un synonyme à "nazi" parce que là, ce n'est vraiment plus possible.
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